Le Paradou, 1er
juillet 2005 – Pourquoi me suis-je laissé
embarquer dans le parrainage du “Festival du
roman noir et méditerranéen” qui
s’ouvre demain à La Roque d’Anthéron,
sinon parce que l’amitié et la tendresse
sont souvent à l’origine de mes extravagances
? Et que vais-je bien pouvoir leur dire dans le propos
inaugural que l’on attend de moi ? C’est
fort simple, m’a suggéré aussitôt
mon doppelgänger, tu leur diras que le “Fonds
Nyssen” voisine à l’Université
de Liège avec celui d’un certain Simenon,
et tu leur révéleras qu’à
la fin de l’année tu publieras un recueil
de nouvelles, inédites en français,
Round the Red Lamp, d’un médecin
nommé Conan Doyle. Et que vient faire cette
“lampe rouge” ? ne manquera pas de demander
un curieux. Oh, c’est fort simple… au
XIXème siècle, en Angleterre, deux corporations
avaient un fanal rouge au-dessus de leurs portes :
les prostituées et les généralistes.
Une Nadia que je ne connais pas m’a envoyé
une lettre fiévreuse après avoir entendu
l’entretien avec Marc Menant sur Europe 1. Elle
a l’air de dire, et le dit d’une certaine
manière, que le ton avec lequel nos propos
ont déboulé l’ont incitée
à y prendre part, à s’y mêler,
même si c’était après coup.
Puis, d’une volte, elle me fait, d’un
voyage récent dans le désert saharien,
une relation qui me renvoie à mes méharées
des années soixante. Et alors qu’elle
n’a pas lu mon livre sur l’Algérie
car il est désormais introuvable, elle évoque
à propos de ces paysages et de la manière
d’être des Sahariens des impressions qui
rameutent les miennes. Dans son regard sur un pays
que je devine être le sien et dans l’usage
des mots, j’ai perçu une sensualité
très proche de celle que je voyais alors surgir
des formes et que je soupçonnais sous les masques
et les voiles. J’ai donc écrit une longue
réponse à cette Nadia. Mais à
peine l’avais-je envoyée, voilà
qu’Arnaldo Calveyra, admirable écrivain
argentin de Paris et si fidèle ami, m’appelle
pour me dire qu’en cherchant à capter
des informations à la radio, il est tombé
sur Europe 1, a reconnu ma voix et entendu sur mon
compte des choses qu’il ne connaissait pas.
Des choses que je n’avais jamais révélées
et que je devrais, dit-il, mettre dans un livre. Ainsi
se poursuit le jeu des coïncidences…
Ce soir, nous dînions à Eygalières
chez nos amis T. C’est toujours l’occasion
d’un grand brassage de souvenirs et d’idées.
Lui revenait de Paris où il avait assisté
à l’enterrement d’un proche et
ce fut le prétexte pour évoquer le désordre
des apparences dans le grand âge. L’un,
disait-il, donne l’impression d’avoir
disparu trop jeune alors qu’il était
fort âgé ; un autre qui, depuis quelques
années déjà, paraissait avoir
fait son temps est en réalité parti
“avant l’âge”. Il fut donc
question des apparences. Il est vrai, ai-je avancé,
que les vieux visages ne portent pas toujours en filigrane
le souvenir de leur jeunesse, alors que souvent –
question d’expression ou d’éclairage
– on entrevoit soudain dans un jeune visage
le masque prophétique du vieillard. Et que
dire, ajouta l’un de nous, de ces femmes qui
se plantent devant vous en demandant pourquoi vous
ne les reconnaissez pas. « Ai-je donc tant vieilli
?” semblent-elles clamer, ou parfois le clament
carrément. J’ai sursauté car j’ai
le souvenir très cuisant d’une telle
situation avec une grande actrice dont je tairai le
nom, ce nom qui me revint en reconnaissant sa voix
sitôt qu’elle m’eut apostrophé.
J’ai raconté que Georges Duhamel –
il y a soixante ans de cela, j’en avais vingt
– m’écrivit qu’il fallait
que nous, les jeunes, nous nous regardions de temps
à autre dans un miroir d’eau pour nous
préparer aux vieillards que nous serions un
jour et, disait-il, les “rendre supportables”.
À table, on revint aux livres. Plaisir inattendu
de me promener dans les jardins de la littérature
néerlandaise (qui eut, dès le début,
sa place dans le catalogue d’Actes Sud) avec
Deliana, ma voisine, qui vient de là-haut.
Satisfaits de constater que nous aimions les mêmes
auteurs, nous sommes allés faire un tour dans
la Frise qui est l’une des plus secrètes,
des plus discrètes, des plus belles régions
d’Europe.
La Roque d’Anthéron, 2 juillet 2005
– La place de la mairie, ce matin, ressemblait
à un plateau prêt pour le tournage d’un
film de Jacques Tati. Je crois que l’idée
de célébrer par un film le roman noir
dans un lieu aussi lumineux et aussi paisible lui
aurait plu.
Les préparatifs traînaient un peu. Alors,
avec Catherine – qui m’avait proposé
comme parrain de la manifestation – je me suis
attablé pour picorer dans ce que nous avons
envie de nous dire et n’arrivons jamais à
trouver le temps de nous dire.
Vers onze heures et demie, on m’a conduit sur
un petit podium pour y retrouver les organisateurs
du festival. De là-haut je pouvais voir le
public et les premiers auteurs installés autour
des tables, devant leurs livres. J’ai joué
le jeu que m’avait suggéré mon
doppelgänger, justifiant ma présence par
le voisinage de mes archives à l’Université
de Liège avec celles de Simenon et par la publication
prochaine d’un inédit de Conan Doyle.
Mais soudain j’ai pris un virage et, m’adressant
à des auteurs de polars que j’avais reconnus,
j’ai parlé du joker qu’ils avaient
dans leur jeu : le sujet. Impossible pour vous, leur
ai-je dit, d’écrire un roman policier
qui n’aurait pas un vrai sujet, alors même
que tant d’auteurs aujourd’hui consacrent
l’essentiel de leurs livres à courir
derrière un sujet. L’absence de sujet
comme sujet, il y a là – je me le dis
depuis longtemps – une thèse en attente
de thésard. J’avais touché un
point sensible, je l’ai vu. J’aurais pu
en dire davantage, mais il fallait céder la
place et le micro, je n’étais pas le
seul à prendre la parole.
La cérémonie finie, j’ai repris
ma voiture et à quelques kilomètres
de là j’ai franchi l’invisible
frontière du royaume où le mistral a
de nouveau pris le pouvoir depuis deux jours.
Le Paradou, même jour – Ce soir,
le mistral s’étant calmé, nous
avons dîné sous le platane avec nos amis
Corbiau et longuement évoqué la personnalité
d’Ilya Prigogine auquel Jérôme
a l’intention de consacrer un film qui mettrait
en évidence les conceptions de l’imprévisible,
de la complexité et du chaos qu’avait
l’auteur de La fin des certitudes.
Belle occasion de revenir à mes relations avec
l’incertitude…
Le Paradou, 4 juillet 2005 – Au Petit
Fontanille, Anne Chambers nous avait invités
à dîner hier soir, comme chaque année
à la même époque, avec Vincent
Giroud et Robert Pound qui passent l’été
en France. Pendant une bonne partie du repas, au jardin,
les abominations du régime Bush ont alimenté
la conversation. Après, Vincent nous a amenés
à parler de Gertrude Stein, mais j’ai
pris un peu de distance pour laisser défiler
dans ma mémoire des souvenirs de lecture où
se mêlaient le “cubisme littéraire”
de cette dame, ses relations avec Picasso qui a fait
d’elle un étonnant portrait, et puis
Hemingway qui, dans Paris est une fête,
rapporte ses vaticinants propos sur la lost generation.
À celle que je lui avais écrite en
juin, Paul Auster m’a répondu par une
lettre où je vois bien que la référence
à Flaubert ne l’a pas laissé indifférent.
Après quelques mots sur le film qu’il
prépare, il évoque le roman de Siri
Hustvedt dont il vient de lire les cent premières
“extraordinarily brilliant” pages.
Puis il parle de Sophie, sa fille, pour le CD de chansons
qui l’amènera sans doute en France, cet
été, avant la rentrée universitaire.
Il y a une manière de défendre la candidature
de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012 –
tel le mépris à l’endroit de la
londonienne ou l’ignorance hautaine pour celle
de Madrid – qui paraît ne pas tenir compte
que nos cocoricos peuvent être fort mal perçus
hors frontières et constituer un contre-lobbying…
Le Paradou, 6 juillet 2005 – Au petit
supermarché du village, à la boulangerie,
et même chez les ouvriers qui ont éventré
la rue principale pour enterrer les lignes électriques,
la question était la même quand j’ai
croisé les gens ce matin : “Quand est-ce
que ça passe ?” C’est que, pour
terminer un tournage de dix minutes dans le cadre
d’une série consacrée par TV 5
aux Belges qui ont émigré – Ce
n’est pas le bout du monde –, une
équipe de IC Production nous avait suivis,
hier, Christine et moi, dans notre marche matinale
qui toujours se termine par l’achat du pain
et des journaux. Les trois cinéastes nous avaient
soudain donné de l’importance aux yeux
de ceux que nous croisions et qui, d’habitude,
nous voyaient à peine. Quand l’un des
ouvriers qui creusent les tranchées a su que
j’écrivais et publiais des livres, il
m’a gratifié d’un sourire pasolinien
et… “désolé, m’a-t-il
dit, je ne lis pas.” Il n’a pas dit qu’il
ne lisait jamais, c’était plus net, plus
définitif : “Je ne lis pas !” En
revenant au mas je me suis dit que si, par miracle,
on obtenait que la télévision diffuse
moins d’horreurs et de conneries, et un peu
plus de choses qui ont un sens, on arriverait peut-être
à de meilleurs résultats qu’en
voulant à tout prix persuader de lire…
L’importance de la lecture, il faut la rendre
visible, et pourquoi pas… lisible.
Le Paradou, 7 juillet 2005 – Les Jeux
Olympiques seront pour Londres, on l’a appris
hier. Parieur, j’aurais perdu car je pensais
que l’Espagne l’emporterait. Tony Blair
ne doit plus se tenir : une troisième victoire
électorale au Royaume Uni, la présidence
de l’Europe quand l’autorité de
la France et de l’Allemagne vacillent, et maintenant
ce choix du comité olympique ! Quant aux Français
présents à Singapour, ils avaient vraiment
l’air de ne pas comprendre.
Un jeune auteur que j’aime bien m’avait
téléphoné pour annoncer l’arrivée
d’un manuscrit et m’avait demandé
de ne lui faire aucun commentaire en cas de refus.
“Parce que ça fait trop mal”, disait-il.
Du coup, j’ai lu le manuscrit beaucoup plus
vite que prévu. Hélas, c’est non.
“Pour des raisons, ai-je écrit, que je
t’aurais données si tu en avais voulu.”
Sans doute ne saurai-je rien du désordre, du
dépit, de la rage ou de la tristesse que cela
provoque, mais en revanche je sais que de tels refus
ne vont jamais sans me laisser des cicatrices. Il
n’est pas agréable de se voir en fossoyeur…
Je ferai renvoyer le manuscrit avec tristesse mais
pas sans une admirative affection.
Le Festival d’Avignon sans théâtre
dans la Cour d’honneur, est-ce encore celui
de Vilar ou de Vitez ? La danse… oui, sans doute,
mais c’est une autre et très symbolique
preuve que la parole régresse vers le geste.
Signe d’un temps où l’impact l’emporte
sur la réflexion. Penser avec les mains
avait écrit Denis de Rougemont en 1935. Le
temps serait-il venu de penser avec les pieds ? Le
temps de danser, quoi !
Et puisque d’impact il est question, comment
ne pas s’interroger avec inquiétude sur
la “performance” de la sonde Deep
Impact percutant la comète Temple
1, et sur l’usage “collatéral”
qui en sera fait un jour dans la guerre des mondes
?
Chez les Stuart, soirée d’adieu avant
leur départ pour deux mois en Ecosse. Une absence
qui, chaque année, me fiche le cafard. Sans
eux, le village paraît abandonné. L’ayant
senti, ils nous ont proposé de les accompagner
l’an prochain. Arditi m’a proposé
la même chose pour la Grèce. Mais je
ne suis pas prêt à prendre de telles
dispositions dès maintenant. Je n’ai
pas une mentalité d’entrepreneur de jeux
olympiques... Bref, dans le jardin des Stuart, sous
un immense saule pleureur et en sirotant du café
bien noir, nous avons évoqué dans la
nuit la figure tragique d’Etty Hillesum, cette
jeune juive (27 ans) qui, à Amsterdam et jusqu'à
sa déportation à Auschwitz où
elle est morte en novembre 1943, écrivit un
journal et des lettres que Philippe Noble a traduits
(et commentés) sous le titre : Une vie
bouleversée. Puis, pour nous sortir de
là et en prenant prétexte des relations
qu’Etty eut avec un étrange psychanalyste,
Jane et moi nous avons longuement parlé de
la manière dont Freud et Jung nouent leurs
lacets de chaussure.
Quand Etienne nous a envoyé de Londres un message
laconique, ce matin – A dark day for London
we had been waiting for –, nous nous sommes
demandé pourquoi il parlait avec tant de mépris
et d’excès de l’attribution à
sa ville des Jeux Olympiques de 2012. Nous avons compris
cet après-midi, quand la terrifiante nouvelle
des attentats est venue jusqu’à nous.
Anne C. était venue me voir et nous évoquions
les curieuses conditions dans lesquelles s’ouvre
ce Festival d’Avignon, où le meilleur
du théâtre semble avoir été
relégué dans le “off”. Christine
est arrivée avec la nouvelle des attentats.
Il ne fut plus question alors de savoir quel couple
formeraient cette année la danse et le théâtre.
Ce fut un soudain et terrible haut-le-cœur. Car
rien jamais ne légitimera de tels massacres
qui relèvent du crime et non de la guerre.
Mais rien ne justifiera non plus le parti que certains
en tireront, en tirent déjà. La nébuleuse
criminelle qui a sévi à New York, Madrid
ou Londres ne représente pas plus l’Islam
que les tortionnaires du milieu du siècle dernier,
dont le ceinturon évoquait l’alliance
avec Dieu, ne représentaient la chrétienté.
Le Paradou, 8 juillet 2005 – Hier,
en fin d’après-midi, à l’issue
du marathon que lui avait imposé l’inauguration
de multiples lieux d’exposition des Rencontres
de la photographie, le ministre de la Culture et de
la communication, Renaud Donnedieu de Vabres, a voulu
visiter le siège des éditions Actes
Sud. Avant qu’il ne parte pour Marseille, Françoise,
Jean-Paul et moi, autour d’un thé à
la menthe nous lui avons décrit comment nos
activités culturelles étaient venues
s’articuler sur celles de l’édition.
Françoise a aussi saisi l’occasion pour
lui parler de la situation de la librairie, très
critique en ce moment. Mais j’ai bien vu que
nous avions tous en tête les sinistres grondements
des attentats londoniens.
Ce matin, même si la lumière était
belle, il faisait froid comme dans les jours de transition
entre l’hiver et le printemps, et le mistral
venait nous donner des petits coups de lame ébréchée…
Nous avons raccourci l’itinéraire. Au
village, la presse, avec ses photos de morts et de
blessés, n’était pas encore arrivée.
Envie de ressortir le lieu commun : tout fout le camp.
Traduction vulgaire de : rien ne va plus.
“Malgré la démesure et la lâcheté
de cet acte terroriste, et malgré l’incertitude
quant à la suite, nous écrit Etienne
dans un nouveau courriel envoyé de Londres,
la ville est plutôt calme et recueillie, elle
ne cède pas à la terreur escomptée.
C’est peut-être lié au souvenir
que Londres et sa population ont survécu au
blitz et à la longue campagne d’attentats
menée par l’IRA. Il y a bien un sentiment
de tristesse et de perte mais aussi une impression
d’unité (ou de solidarité : togetherness).”
Par ces phrases brèves et simples, Etienne
nous en apprend autant que les commentaires relevés
dans la presse.
Editrice en allemand de deux de mes romans, Jutta
Beck, reconvertie dans la photographie, a réapparu
aujourd’hui. Mais la photographe, maintenant
établie à Paris, n’a pas perdu
la passion de la littérature qu’avait
l’éditrice de Fribourg. Et trente ans
après, j’aurais reconnu entre mille ce
regard d’où surgit une volée de
questions silencieuses. Pendant qu’avec elle
et Ulf, son compagnon, nous déjeunions sous
le platane dans lequel nos cigales semblaient s’être
prises de querelle avec le mistral, nous avons longuement
parlé de W. G. Sebald et du procès que,
dans De la destruction comme élément
de l’histoire naturelle , il fait à
Alfred Andersch. Procès qui se termine par
ces mots : “Cela nous donne une fois de plus
accès à une vie intérieure tourmentée
par l’ambition, l’amour-propre, la rancœur
et la rancune. L’œuvre littéraire
est le manteau qui les recouvre. Mais la méchante
doublure fait jour de toutes parts.” Vulnera
omnes, ultima necat. Si Sebald n’avait
pas eu la très mauvaise idée de mourir
dans un accident en 2001, ai-je dit à Jutta,
je l’aurais sûrement entrepris sur les
dessous de cette question au cours du séjour
qu’il avait l’intention de faire ici.
Deux soirs de suite, dans le silence de la nuit,
j’ai écouté Marianne Epin lisant
Rilke. Elle m’avait envoyé, du Livre
d’heures et des Elégies de Duino,
un enregistrement qui date de 1992. J’ai fréquenté
ces poèmes depuis mon adolescence, mais à
chaque lecture je découvre de nouvelles allusions
à l’autorité sensuelle de la pensée.
Et Marianne le fait si bien sentir ! Sa voix se déploie
avec une grâce et une justesse qui m’ont
donné l’impression d’en palper
l’étoffe. Je me pose cependant des questions
sur une lecture au cloître, l’an prochain.
La poésie de Rilke peut-elle être écoutée
en groupe et en plein air ? Elle ne supporte aucune
interférence. Elle est murmure. De surcroît,
pour être intimement comprise, il faut parfois
qu’elle soit reprise. Mais serait-on jamais
deux à vouloir les mêmes reprises ?
Le Paradou, 9 juillet 2005 – A la
télévision hier soir et dans les journaux
ce matin, extraits et photos de la générale
de L’histoire des larmes de Jan Fabre
qui a fait l’ouverture du très flamand
Festival d’Avignon dans la cour d’honneur
du Palais des papes. On se croirait à Londres,
jeudi matin. La dignité en moins.
“Remember is hard work on an analysis
basis”, venait de m’écrire
Jane Stuart.
Fin de semaine, fin de parcours pour deux hommes
qui avaient en commun, l’autorité de
talents tout à fait dissemblables : Claude
Simon et Michel Baquet. La plume et le violoncelle.
La rigueur et la prouesse.
Claude Simon restera pour moi l’écrivain
qui fait réfléchir à l’effet
de contamination de l’écriture sur le
sujet dans le roman. Il est aussi, à mes yeux,
celui dont l’œuvre a le plus pâti
de l’orthodoxie du “nouveau roman”
proclamée par des zélateurs qui étaient
bien incapables d’en écrire.
Après qu’il avait reçu le prix
Nobel de littérature en 1985, une réception
avait été organisée au Centre
culturel suédois de la rue Payenne, à
Paris. Comme nous passions d’une pièce
à l’autre, et alors que je voulais m’effacer,
avec douceur et courtoisie il m’avait poussé
devant lui. En continuant de lui parler je m’étais
retourné et d’un geste de la main, ne
le sachant pas si près de moi, du bout des
doigts j’avais involontairement effleuré
ses lèvres. “Et voilà, s’était
écriée Josyane Savigneau, témoin
de la scène, Nyssen veut enlever les mots de
la bouche de Claude Simon !” Comme le disait
mon père, qui était apiculteur à
ses heures, “pas de miel sans fiel”.
Le Paradou, 10 juillet 2005 – Dominique
Sassoon a répondu ce matin aux questions de
Christine sur des termes médicaux du XIXème
siècle dans Round the Red Lamp, le
recueil de nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle, inédites
en français, qu’il nous a déniché.
Moi, cet après-midi, j’ai achevé
la lecture de cette traduction où Christine
montre une fois encore sa capacité d’être
complice d’une écriture, d’un style
et d’une époque.
Les nouvelles qui composent le recueil sont d’une
grande variété, qui va d’un naturalisme
que n’aurait pas désavoué Maupassant
à des cruautés dignes de Barbey d’Aurevilly
en passant par le fantastique. Mais on retrouve en
même temps l’art narratif du père
de Sherlock Holmes qui, avec l’air de vous emmener
en promenade ou en visite, vous fait soudain descendre
dans des abîmes. Et elle n’est pas moins
perceptible, la sensibilité du médecin
que fut l’aventureux Doyle. En passant, j’ai
appris que les ancêtres de Conan Doyle, qui
étaient d’origine normande, écrivaient
leur patronyme : “d’Oil”.
Le Paradou, 11 juillet 2005 – Françoise,
qui le savait depuis le passage en Arles du ministre
de la Culture, ne m’avait rien dit et comptait
garder la chose secrète jusqu’à
l’annonce officielle. Mais Pierre Moinot a téléphoné
ce matin pour m’annoncer que j’allais
recevoir les insignes d’officier de la Légion
d’honneur. Il fut un ardent défenseur
de L’Italienne au rucher quand l’Académie
française, en 1995, couronna d’un grand
prix ce roman. Il m’en a reparlé ce matin,
mais il a fait un lapsus, il a dit L’Italienne
au bûcher. Cette manière de jeter
Aurélie dans les flammes a rallumé de
grands éblouissements…
Le Paradou, 12 juillet 2005 – Ce matin,
chez Actes Sud, j’ai trouvé sur ma table
un exemplaire d’une édition grecque de
mon dernier roman : Pavanes et javas sur la tombe
d’un professeur. Est-elle est loin –
plus de soixante ans ! – l’époque
où je pouvais lire le grec et où, par
manière de défi, alors que nous apprenions
avec lenteur à traduire en classe L’Iliade,
nous étions trois mavericks qui marquions
notre différence en apprenant par cœur,
au Chant VI de L’Odyssée, le
dialogue d’Ulysse et de Nausicaa, et en particulier
cette exclamation – À Délos
autrefois, à l’autel d’Apollon,
j’ai vu même beauté : le rejet
d’un palmier qui montait vers le ciel –
dont plus tard je fis graver les derniers mots sur
une bague offerte à une femme que j’allais
épouser. C’est à peine si, aujourd’hui,
j’ai pu déchiffrer les premiers mots
de mon roman transvasé dans cette langue. Et
j’en suis réduit à me satisfaire
du spectacle des nœuds que le temps fait dans
nos souvenirs.
Une autre surprise m’attendait… Vérifications
faites, je tenais pour inédites en français
les nouvelles de Conan Doyle – Round the
Red Lamp. Or ce même matin, M., une collaboratrice
d’Actes Sud, avait déposé sur
ma table l’un des 24 volumes d’une collection
complète des œuvres de Sir Arthur dans
une édition de 1967 parue à l’enseigne
de Walter Beckers à… Kapellen lez Anvers
(Belgique), volume dans lequel se trouvent, intitulées
Contes de médecins, huit des quinze
nouvelles en question. Il y a donc toujours un interstice
par lequel ma Belgique natale trouve malin de fourrer
son nez dans mon histoire…
Cet après-midi, j’ai pris une heure
de congé pour regarder à la télévision
l’arrivée à Courchevel de l’étape
du Tour de France. Je me doutais qu’à
l’occasion de cette épreuve de montagne,
Lance Armstrong ferait à nouveau parler de
lui. Et, en effet, je l’ai vu, debout sur ses
étriers, se frayer soudain un chemin parmi
des concurrents exténués, déployer
une force tranquille et arriver en tête pour
récupérer le maillot jaune. (Non sans
avoir permis à l’un des deux accompagnateurs
de son échappée de bénéficier,
par quelques centimètres, de la victoire d’étape.)
La compétition sportive, ses enjeux, ses exploits
et ses règles, ce n’est pas ma tasse
de thé. Mais la détermination d’Armstrong
m’a rappelé qu’à une curieuse
qui me demandait jadis pourquoi je m’obstinais
à croire que je réussirais à
faire de l’édition sur la rive gauche
du Rhône comme si j’étais à
Paris sur la rive germanopratine, j’avais répondu
: Mais oui, c’est possible, à la condition
de ne penser qu’à ça. À
ce prix tout est possible, avais-je ajouté,
même de gagner le Tour de France…
Le Paradou, 14 juillet 2005 – Ce matin,
autre coup d’œil à la télévision
pour juger de la participation brésilienne
aux festivités de la veille et aux cérémonies
d’aujourd’hui. Le président Lulla
était visiblement plus à l’aise
à la Bastille qu’aux Champs Elysées.
La samba et le défilé militaire sont
évidemment deux manières assez différentes
de célébrer la liberté…
Hier, je me demandais si, parmi les journalistes
qui allaient interroger Chirac sur la France grogneuse
et morose, il s’en trouverait un pour lui rappeler
qu’en 2002 il avait eu une chance historique
de présider dans l’union après
avoir été élu par une écrasante
majorité de citoyens qui entendaient barrer
la route à Le Pen. S’en trouverait-il
un, me demandais-je encore, pour rappeler que, lors
de cette élection, Le Pen avait pu coiffer
Jospin grâce aux manœuvres de personnages
qu’on a retrouvés parmi les activistes
du refus lors du referendum européen ? Non.
Ce fut sans éclat. Un simulacre d’optimisme
jeté comme un voile sur le sentiment de la
défaite. L’événement du
jour, ce fut l’impertinente réunion qu’avait
organisée Sarkozy à la même heure.
Ah, les tristes belluaires…
Pierre Moinot avait raison. La confirmation est venue
par le Journal Officiel. Le ministre de la
Culture et de la Communication m’a bel et bien
“élevé” au rang d’officier
dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.
Même si elle va aussi à mon travail d’écrivain,
voilà une rosette qui rejoint d’autres
insignes reçus pour ma chevauchée d’éditeur.
Ce pour quoi je les accepte dans le plaisir de les
partager avec les auteurs que j’ai pu réunir
et avec les compagnons de route.
Dans cette collection d’insignes, il en est
deux qui me plaisent particulièrement : d’abord
l’insigne de l’Ordre de l’Etoile
polaire que me valut l’intérêt
porté à la littérature suédoise
et qui, en me rappelant des expéditions vers
le septentrion, m’enchante par son appellation
; et puis, bien qu’il ne ressortisse pas de
la même rubrique, le zéro pointé
par lequel un professeur de littérature me
fit claquer la porte de l’Université
de Bruxelles, reléguant le doctorat ès
lettres à une époque bien postérieure
où, à l’Université d’Aix-en-Provence,
après une soutenance sous la direction de Raymond
Jean, il me serait accordé par un jury que
présidait Georges Duby. Sans ce zéro
pointé, il n’y aurait sans doute jamais
eu d’Actes Sud. Cette histoire, je l’ai
racontée en 2002 dans un numéro de la
Revue de l’Université de Bruxelles. Dommage
qu’il n’y ait ni ruban ni breloque ni
Ordre du zéro pointé !
Le Paradou, 16 juillet 2005 – Hier
après-midi, virée en Avignon, cette
ville que le festival transforme en bruyant champ
de foire.
D’abord chez L’Ami voyage (heureux
attelage d’une bouquinerie et d’un bistrot
installés dans l’ancienne Maison des
Offray où je fis les premiers livres avec Alain
Barthélemy) je fus interviewé pour Le
Dauphiné Libéré par Anne
Camboulives qui exerce sa nouvelle fonction de localière
avec un zèle amoureux. Elle en sait tant sur
moi qu’elle aurait pu rédiger son article
sans me poser de questions. Mais, à défaut
de scoop (et la rosette n’en est pas un), elle
est à l’affût du mot qui ricoche,
de la formule qui éclaire, de la pirouette
qui fera sourire.
Ensuite, à l’étage du Conservatoire
de musique, entretien en direct, à l’antenne
de RFI, avec Pascal Paradou à l’occasion
du vingtième anniversaire d’Actes Sud
Papiers. Mais avant que le sieur Paradou me pose des
questions, je l’ai entrepris sur son nom qui
est aussi celui de mon village. Le paradou,
lui ai-je dit, désigne en provençal
le moulin à foulon où l’on apprêtait
le drap avec des chardons (le “battre”,
dit Mme Marie-Thérèse Morlet dans son
Dictionnaire étymologique des noms de famille
que je fréquente beaucoup malgré ses
lacunes et qui, en l’occurrence, ne mentionne
pas l’étymon latin parare).
Sous l’Empire, ai-je ajouté, un fonctionnaire
trop zélé avait obligé notre
village à abandonner son nom, Saint-Martin
de Castillon, au motif qu’il y en avait un autre
dans le Lubéron (alors que dans les campagnes
françaises on trouve doublons et triplets à
profusion), et la municipalité prise de court
avait choisi de prendre celui d’une petite industrie
locale, le paradou. J’aurais volontiers
fait dériver notre entretien dans cette voie
pour révéler la secrète satisfaction
qui me vient de la confusion sémantique donnant
une connotation paradisiaque à un ancien lieu
de pénible labeur. Mais il y avait cet anniversaire
d’Actes Sud Papiers… Et il en fut question.
Puis, au Musée Calvet, après une lecture
par Eugène Durif de sa pièce –
Hier, c’est mon anniversaire –,
il y avait une réception où, pour accueillir
les invités, Françoise, ma présidente
de fille, et Claire David, qui dirige Actes Sud Papiers,
m’ont demandé de prendre la parole. Je
me suis servi de la piste ouverte à l’antenne
de RFI. Comme je l’avais fait devant Pascal
Paradou, j’ai donc rappelé que, si la
phrase donne vie et incandescence aux mots qui, sans
elle, seraient inertes, pareillement au théâtre
la parole donne sens et vie au texte, à l’écrit.
Et là-dessus j’ai repris quelques considérations
qui sont dans la préface du catalogue édité pour ce 20ème anniversaire. ..
Enfin une lettre, quatre pages manuscrites, d’Assia
Djebar. J’y suis d’autant plus sensible
qu’après son élection à
l’Académie française elle doit
avoir reçu un courrier considérable
auquel elle aura soin de répondre – elle
y fait d’ailleurs allusion. Les lettres d’Assia,
d’une écriture nerveuse et acérée,
avec leurs lignes ascendantes qui attestent de son
tempérament téméraire, me font
penser à une sorte de tissage qui serait improvisé
sur le métier. C’est une raison de plus
de les conserver avec soin. Elles sont dans mes archives
à l’Université de Liège.
L’éblouissement provoqué par la
rencontre d’Assia Djebar à Alger en 1969
– elle venait alors de publier Les alouettes
naïves – m’avait inspiré
un poème
paru dans Stèles pour soixante-treize petites
mères aux éditions Saint-Germain-des-Prés
en 1977. J’avais attendu des années avant
de le lui montrer…
Le Paradou, 17 juillet 2005 – Quand
deux de nos petits-enfants sont partis après
le déjeuner, aujourd’hui, pour retrouver
leur mère avec laquelle ils passeront une partie
des vacances loin de leur père, ils ont été
submergés par les larmes que, depuis leur réveil,
ils avaient tenté de retenir derrière
une alternance de bouderies et de révoltes.
Du coup, deux souvenirs d’enfance enfouis dans
les cendres de la mémoire sont revenus comme
braises qu’une rafale de vent aurait attisées.
Dans le premier de ces souvenirs, je suis à
la campagne, sur le seuil d’une maison de village,
je regarde mon père s’éloigner
sur la route, une valise au bout du bras. Sa sœur
à laquelle il m’a confié pour
le reste des vacances me dit, d’une voix ébréchée
par l’émotion : “Regarde-le bien,
ton père, car tu pourrais ne jamais le revoir…”
La sinistre menace m’a déchiré,
elle me déchire encore 70 ans après.
Dans l’autre souvenir, je suis pensionnaire
d’un préventorium de l’Assistance
publique, sur la côte, et mon père, amené
à moto par un de ses amis, est venu passer
une journée avec moi, nous avons couru sur
la plage, joué au ballon, nous nous sommes
baignés, nous avons pique-niqué. L’après-midi
s’achève, les deux motards enfourchent
leur machine, je les vois filer et je renifle l’odeur
d’huile de ricin que laisse leur machine. Une
odeur qui s’est alors inscrite en moi comme
celle du destin. Une monitrice doit user de force
pour me faire rentrer dans le préventorium
alors que ne pouvant plus voir mon père, je
hurle que je le vois encore.
Si, devenus adultes, mes petits-enfants trouvent ces
lignes, ils découvriront notre secrète
complicité, et peut-être se diront-ils
que les familles recomposées ne peuvent pas
toujours faire oublier aux enfants qu’elles
sont d’abord des familles décomposées.
Au journal télévisé, ce soir,
j’assiste à deux scènes qui s’aboutent
l’une avec l’autre. Dans la première,
au passage des hommes de tête dans un col pyrénéen,
les gens se précipitent avec des cris de Sioux
sur les coureurs du Tour de France au risque de provoquer
des accidents ; dans l’autre, des librairies
par exception ouvertes à minuit sont prises
d’assaut par des adolescents et des adultes
qui se jettent avec la même frénésie
sur les premiers exemplaires du nouveau volume des
aventures de Harry Potter. Dans l’un et l’autre
cas, même angoisse existentielle … Pouvoir
dire : “J’y étais, donc je suis
!”
Le Paradou, 18 juillet 2005 – Longue
conversation avec le Secrétaire perpétuel
de l’Académie royale au sujet des candidatures
qui seront proposées, à la réunion
de septembre, pour la succession au siège de
Robert Mallet qu’aurait occupé Yves Berger
s’il n’était mort après
son élection et avant sa réception.
Le nouvel élu aura donc un double éloge
à prononcer. Jacques De Decker et moi, nous
nous lançons par téléphone des
noms comme balles de tennis. Mais la discrétion
est de règle et, si fort que soit mon désir
de servir déjà la cause de tel écrivain
que je verrais fort bien au siège dont Gabriele
d’Annunzio fut le premier titulaire, je ne peux
ici révéler le nom qui me tient le plus
à cœur.
Le Paradou, 19 juillet 2005 – On annonce
l’arrivée à Paris, quasiment en
voyage d’Etat, d’Angela Merken qui paraît
assurée de la victoire aux dépens de
Schroeder dans les élections allemandes de
septembre. Cette Ossie a déjà
fait comprendre que sa politique serait marquée
par des distances vis-à-vis de la France et
un rapprochement avec les Etats-Unis. Il m’étonnerait
que Blair ne flaire pas là un bon coup. Dans
cette nouvelle alliance d’une Allemagne et d’une
Angleterre atlantistes, je vois une des conséquences
de notre rejet de l’Europe lors du referendum.
Alors, avant de n’en plus parler, un dernier
( ?) merci à ceux qui ont cassé la baraque
avec promesse – déjà oubliée
– de mieux la refaire !
Le Paradou, 20 juillet 2005 – Alain
Bombard, je l’avais rencontré en 1981
dans l’entourage de François Mitterrand,
au temps où il avait été secrétaire
d’Etat auprès du ministre de l’Environnement
pendant à peine plus d’un mois. Je l’avais
revu en 2002 à Montpellier, dans un colloque
“Santé, aventure et médecine”
où l’ami Bernard Giral m’avait
invité à faire une communication sur
la notion de “l’extrême”.
J’avais alos évoqué le désir
(désir ou délire) du philosophe qui,
arrivé aux confins de la pensée, indifférent
à la recommandation que l’on trouvait
jadis dans les trains – E pericoloso sporgersi
–, se penche pour “voir” ce qu’il
y a au-delà.. . Et j’avais évoqué
ce point limite où connaissances et langage
se dérobent. Après, hyperbolique et
légèrement éméché,
Bombard, l’œil malicieux, était
venu vers moi pour me dire que, entre son équipée
à bord de L’Hérétique,
le radeau pneumatique avec lequel il avait traversé
l’Atlantique en 1952, et Actes Sud qu’il
me voyait piloter dans les tempêtes éditoriales
de l’époque, il trouvait une certaine
ressemblance… Pour me tirer de l’embarras
où il m’avait mis, je lui avais cité
Montaigne : “La sagesse a ses excès.”
La mort aussi a ses excès. C’est à
quoi j’ai pensé ce matin quand, au réveil,
j’ai appris celle de Bombard à l’âge
qui est le mien.
Le Paradou, 21 juillet 2005 – En marchant
dans les sentiers de la colline, le matin, il nous
arrive de détruire sans les voir les ponts
de soie que les araignées ont construits pendant
la nuit. Pour nous, ce n’est qu’un frôlement,
une caresse imperceptible. Mais, à la place
des araignées minuscules, quel sens donnerions-nous
à ce cataclysme ? J’ai le souvenir d’un
texte de Cocteau, découvert dans l’adolescence
– impossible de mettre la main dessus –
où il était question d’un univers
constitué par des créatures microscopiques
dans une bouteille abandonnée à la décharge.
L’une de ces créatures, un poète,
sans le savoir touchait à la vérité
quand, pris par un lyrisme métaphorique, il
s’exclamait (pour autant qu’en ce point
ma mémoire soit fidèle) quelque chose
du genre : “Moi, pauvre prisonnier d’une
bouteille ronde…” Pour essayer d’être
un grand-père comme celui que j’eus le
privilège d’avoir, je vais, à
l’occasion, tenter d’initier à
ce relativisme l’un ou l’autre de mes
petits-enfants, de ceux qui sont en âge de l’entendre.
Le Paradou, 22 juillet 2005 – Hier
était jour de fête nationale belge, 175ème
anniversaire d’une indépendance acquise
après la petite révolution déclenchée
lors d’une représentation de La Muette
de Portici au Théâtre de la Monnaie,
à Bruxelles.
Au temps de mon enfance, je comparais l’histoire
de la Belgique à un croissant de lune. La partie
illuminée, celle d’après 1830,
était fort mince, elle avait à peine
plus d’un siècle, et l’autre, dans
l’ombre, qui allait des origines de notre espèce
à l’aventure napoléonienne, je
pensais qu’elle ne nous appartenait pas vraiment.
On proposait certes à notre admiration des
aventures, des exploits, des héros, mais j’avais
la confuse impression que nous dérobions un
destin, une histoire, des hauts faits qui n’étaient
pas les nôtres. Henri Pirenne n’avait
pu écrire son Histoire de Belgique
qu’en poussant sa charrue d’historien
dans les champs européens. C’est pourquoi,
très tôt, l’utopie des Etats-Unis
d’Europe dans laquelle étaient engagés
mes grands-parents me parut rassurante. Fils d’Europe,
j’aurais une véritable Histoire
dont, fils de la minuscule Belgique, je me sentais
privé.
Ces temps derniers, la Belgique, déjà
fière de Simenon et d’Hergé, a
haussé le col et le ton en littérature
(Amélie Nothomb), au cinéma (les frères
Dardenne), dans la danse et le théâtre
(Jan Fabre) et même... Et même, on dit
que le Crazy Horse Saloon aurait été
racheté par des Belges qui en feraient le VBS
(Venus Belga Saloon). Malgré fissures
et craquelures, la Belgique peut donc maintenant rire
de l’épitaphe baudelairienne qui l’avait
exaspérée : “Elle dort. Voyageur,
ne la réveillez pas.”
Jules César nous avait prévenus…
De tous les peuples de la Gaule, disait-il, les Belges
sont les plus braves, et aussi les plus retors.
A la fraîche, sous le platane, avec Metin Arditi
arrivé de Genève, long échange
sur les multiples dispositions de l’écriture.
Celle qui fonctionne par la séduction, celle
qui passe au contraire par la violence, celle qui
use de ruse et celle qui se propose comme une simple
nacelle pour véhiculer le lecteur dans les
méandres du récit. Celle qui oblige
à regarder certaines choses pour mieux en dissimuler
d’autres, celle qui laisse voir ce que l’on
veut, et naturellement celle qui ne montre rien, qui
jette de la poudre aux yeux et ne résiste pas
au filtre de la traduction. Celle, façon baroque,
qui s’empare du sujet pour le harnacher de ses
breloques, ou celle, façon classique, qui impose
sa mesure à toute chose qu’elle exprime.
Et celle, plus rare, qui provoque en douce dans l’imagination
d’imprévisibles déploiements.
Anne C., Françoise et Jean-Paul nous avaient
rejoints pour la soirée. Pendant le dîner,
des comparaisons et des controverses sont nées
à propos des spectacles que proposent, cette
année, les festivals de l’été.
Auto-célébration, exhibitionnisme, violence
gratuite, disaient les uns. Renvoi de sa propre image
à notre société, leur répliquait-on.
Jan Fabre pas plus violent que Jérôme
Bosch.
Dans ces cas-là – et ici comme ailleurs
– c’est presque toujours sur le dos de
la critique que la réconciliation se fait.
Les journalistes en prennent pour leur grade, on les
dit plus portés à être juges que
découvreurs, à manifester plus de mépris
que de curiosité.
Il fut aussi question de politique et je reste admiratif
de la lucidité dont Anne, vieille dame si digne,
témoigne avec une délicatesse qui, loin
de les atténuer, affûte ses jugements
sur l’Amérique dont elle fut un temps
l’ambassadrice.
Après le petit-déjeuner, ce matin,
j’ai montré à Metin les notes
que j’avais portées dans les marges des
deux livres que nous allons publier sous sa signature
en janvier : une réédition en poche
de son Victoria-Hall paru chez Pauvert, et
son nouveau roman, La Pension Marguerite.
Metin est venu assez tard à l’écriture
romanesque et j’ai l’impression que, compte
tenu de son parcours, de sa notoriété,
de ses accomplissements, il ne lui sera pas facile
d’être perçu d’abord comme
un écrivain. En somme, ce que j’ai vécu
avec mon métier d’éditeur…
Elisabeth B., qui avait déjeuné au mas,
l’a emmené en Arles d’où
il est revenu avec le visible plaisir de s’être
mêlé à l’équipe d’Actes
Sud, puis d’avoir retrouvé ses passions
de président de l’Orchestre de la Suisse
Romande en évoquant avec Jean-François
Heisser, et en compagnie de Françoise, la prochaine
saison musicale du Méjan.
Le soir, à table, Jeanne A., qui fut restauratrice
de tableaux dans nos musées, nous a tenus en
haleine en nous racontant avec quelle patience et
quelle humilité il convient de réparer
une œuvre. Souvent, disait-elle, il est plus
important de nettoyer ou d’alléger que
de retoucher, voire de compléter. Metin a fait
la réflexion qu’il en allait peut-être
de même avec l’écriture au moment
de reprendre la première version d’un
livre. La débarrasser des vernis qu’on
y a mis.
Puis, il fut question de l’Italie, de Florence
et des amis que nous y avons. Longtemps, un peu trop
longtemps, m’a-t-il semblé. Comme si
nous voulions retarder le moment d’évoquer
l’écho sismique de la deuxième
vague d’attentats à Londres. Il fut alors
question des effets qu’a dans le monde islamique
le redéploiement récent de l’histoire
des Croisades, avec son lot de terribles vérités
et de légendes où la cruauté
prend une dimension symbolique…
Le Paradou, 23 juillet 2005 – La journée
commence avec la nouvelle du massacre de Charm-el-Cheick,
en Egypte. On ne me sortira pas de la tête l’idée
que si nous avions à l’échelle
mondiale l’union que nous cherchons à
établir en Europe (avec tant de maladresses
et de trahisons), si nous disposions enfin d’un
véritable Droit international et d’une
justice universelle, de tels massacres seraient tenus
pour ce qu’ils sont : des crimes. On fait le
jeu des extrémistes et des fanatiques quand
on parle du choc des civilisations et des cultures,
on active alors le sens qu’ils cherchent à
donner à leurs tristes exploits. Je me souviens
m’être dit, après un 11 septembre
de sinistre mémoire, qu’en désignant
comme un acte de “guerre sainte” ce qui
aurait dû être dénoncé comme
un crime contre l’humanité, on avait
fait ce que souhaitaient à coup sûr les
pirates criminels.
En compagnie d’Anne-Marie et Serge G. qui sont
venus de New York pour passer leurs vacances en Provence,
nous avons évoqué ce soir l’incroyable
rapidité avec laquelle, dans le cours de nos
brèves carrières, la fureur de consommer
avait eu raison de la douceur de vivre, et avec quelle
outrecuidance l’exploit avait occulté
le talent. À un moment, il m’a semblé
que nous nous traînions dans les allées
d’un Père-Lachaise de l’Histoire.
Le Paradou, 24 juillet 2005 – Un choc,
ce matin en achetant le Journal du Dimanche.
En première page, côte à côte,
les photos de la belle actrice Atika et de Jean-Paul
Capitani avec leurs noms alliés par un trait
d’union. Dans quelle aventure Jean-Paul , mon
ami, mon associé – mais aussi mon gendre
– s’était-il lancé ? En
fait, les photos annonçaient la présence,
dans les pages intérieures, d’articles
distincts sur ces deux personnages qui ne se connaissent
pas.
Jean-Paul parle de son potager avec la même
gourmandise que des beaux livres dont il assure la
publication chez Actes Sud. J’en suis convaincu,
son savoir et ses passions d’agronome jouent
un rôle important dans la manière dont
il cherche, prépare et publie les livres dans
les collections qu’il dirige.
Quand le serveur d’un correspondant refuse
soudain les courriels qu’on lui destine, et
les renvoie avec une notification rédigée
dans l’anglais des colonisateurs, l’imagination
se met en branle et du silence elle propose des interprétations
multiples. Qu’a-t-on écrit qu’il
ne fallait ni écrire ni même dire ? se
demande-t-on. Où est la blessure ? Où
le faux-pas ? Quel impair a-t-on commis ? Et à
l’instant où le courant revient, c’est
d’une parousie dont on croit être le complice
ou le témoin.
Cela m’est arrivé avec une épistolière
assidue que je n’ai pu joindre pendant plusieurs
jours. Et si elle ou moi, nous étions dans
une navette spatiale dont les ordinateurs tombent
en panne ou cherchent à s’emparer du
pouvoir comme HAL 9000 dans L’Odyssée
de l’Espace de Kubrick ? me suis-je demandé
parce que le silence s’éternisait. Toute
la mécanique du monde me paraissait en péril.
Belle occasion de méditer sur la servitude
à laquelle pourraient, avec leurs facilités,
nous conduire les progrès techniques.
Le Paradou, 25 juillet 2005 – Ce
matin, dans un entrefilet de Libération,
je tombe sur une formule qui d’abord m’est
obscure : “Tony Blair, métrosexuel dépensier.”
Il ne me faut pourtant pas une longue recherche sur
Internet pour apprendre que le néologisme désigne
le metropolitan sexual , un quidam “qui
a entre vingt-cinq et quarante ans et qui, pour manifester
sa virilité hétérosexuelle, s’épile,
se muscle, se parfume et se réinvente. (Mazette
!) Un phénomène marketing inespéré
qui, selon une certaine Babeth Djian, peut doper la
consommation et faire bouger les mentalités.”
Du coup, il me paraît que le pessimisme n’est
plus de saison. Que les Ben Laden et autres Al-Quaedistes
se le tiennent pour dit… Les Zoro métrosexuels
sont là qui sauront nous protéger des
terroristes effrayés par leur bonne mine ou
leur belle gueule. L’envers du mythe de la Méduse…
Le lundi n’est pas souvent jour faste. Le mistral
avait disparu, les cigales montraient de la modération,
la lumière de l’aube faisait du paysage
de cette basse Provence, vue d’en haut, une
“installation” devant laquelle les usurpateurs
de ce mot feraient mieux d’aller se rhabiller…
Mais un courriel tombe qui nous annonce que l’île
grecque, où réside en ce moment la famille
de Metin, est la proie des flammes. Le feu, le foyer,
le fléau… Nouvelle mise en évidence
d’inquiétants rapports entre les désastres
venus du ciel et ceux que l’homme provoque pour
croire et faire croire à sa démiurgie.
“L’homme, disait Rivarol, est le seul
animal qui fasse du feu, ce qui lui a donné
l’empire du monde.”
Le Paradou, 26 juillet 2005 – Ils
étaient une trentaine, hier soir, dans les
jardins de la Fac de lettres de l’Université
d’Aix-en-Provence, les étudiants étrangers
– des filles et un zeste de garçons –,
devant lesquels Christine (pour la traduction) et
moi (pour l’édition), nous avons parlé
de nos métiers puis répondu aux questions
pendant un dîner au cours duquel, tout en nous
écoutant, ces jeunes gens découvraient…
l’aïoli. C’était donc pour
eux un double exercice de langue. Bref, il leur fallait
déguster la morue et les coquillages, nous
suivre, nous comprendre et nous interroger. Rude épreuve
pour des jeunes qui sont dans les commencements de
leur formation universitaire. Mais ils sont d’autant
plus déterminés, ces natifs d’Europe,
d’Amérique, de Corée et d’Afrique,
qu’ils ont payé de leur poche le voyage
et leur séjour de trois semaines à Aix.
J’avais à table, près de moi,
l’un de leurs accompagnateurs, professeur de
littérature française à l’Université
Loyola de Chicago, l’une de celles que les jésuites
ont établies aux U.S.A. Cette obédience,
m’a-t-il dit d’une belle voix sans accent
mais avec un regard lourd de sous-entendus, ne rend
pas très singuliers les campus jésuites
dans un temps où il y a un regain religieux
dans toutes les universités américaines.
Après le repas, des étudiantes se sont
mises à fumer. Parce qu’elles étaient
hors zone du “politiquement correct” ?
Je me suis empressé de sortir et d’allumer
ma pipe, et nous sommes repartis de plus belle dans
nos échanges. Il est venu un moment où,
par leurs questions formulées avec de délicieux
accents et des maladresses émouvantes, j’ai
compris qu’elles ne comprenaient pas pourquoi
la littérature française contemporaine
était si peu traduite et n’arrivait plus
jusqu’à elles. Il fallait donc, c’était
incontournable, que nous évoquions le nouveau
roman et ses effets collatéraux…
Le Paradou, 28 juillet 2005 – Reçu
ce matin un numéro du Nouvel Observateur
consacré en grande partie à Hiroshima
“60 ans après”. Aussitôt,
d’un apparent oubli a ressurgi ce mois d’août
1945 où j’ai vu des gens danser alors
que le “dernier degré de sauvagerie »,
comme l’écrivait Albert Camus dans Combat,
venait d’être atteint avec les quelque
200 000 morts de Hiroshima et de Nagasaki, et alors
que les rescapés des camps de concentration
rentraient avec le souvenir de telles horreurs qu’ils
choisissaient, pour la plupart, de ne pas en parler
dans ce climat de fête. Je revois en particulier
une soirée organisée à la Cité
universitaire par des carabins. Ils avaient invité
une strip-teaseuse qui se faisait appeler “Miss
Atomic” à monter sur une table et à
s’effeuiller pour célébrer la
“paix”. Et je retrouve à l’instant
le dégoût amer et violent que m’avait
inspiré cette exhibition.
Et pourquoi effacerais-je de ma mémoire le
souvenir que, dans mes jeunes années, deux
nations occidentales ont commis les plus impardonnables
des crimes, les plus symboliques aussi, l’allemande
avec la “solution finale”, et l’américaine
avec l’arme atomique ? Oui, pourquoi ?
Ce fut aussi le temps – soit dit en passant
– où, après quatre années
sans films américains, le tout premier à
revenir et à être projeté sur
nos écrans fut Waikiki Wedding, une
comédie de Frank Tuttle tournée en 1937
avec Bing Crosby en vedette, l’histoire de l’élection
de "Miss Pineapple Princess", une sottise
à ce point débile que, peu après,
on se précipita pour voir les premiers films
soviétiques montrant la guerre sur le front
de l’Est…
Le Paradou, 30 juillet 2005 – J’avais
récemment retrouvé dans la bergerie
du mas un exemplaire oublié du livre –
L’Algérie – publié
voici plus de trente ans dans la collection “les
beaux pays” chez Arthaud. Et je l’avais
envoyé à cette Nadia qui m’avait
fait un surprenant courrier après avoir entendu
l’émission de Marc Menant sur Europe
1 (cf supra, 1er juillet). Avec l’autorité
qu’à mes yeux lui donnent ses origines
algériennes, elle m’écrit que
ce livre “n’a pas pris une ride”.
Et de me citer des réflexions que j’avais
faites sur “l’érotisme visuel”
dans le Grand Erg occidental du Sahara. Je me souvenais
des impressions d’alors mais pas des mots que
j’avais rameutés pour les traduire.
C’est ainsi que ce que l’on croyait oublié
refait surface, c’est ainsi que revient cette
vérité – mais qui l’a dit
en premier ? – selon laquelle il suffit d’un
seul vrai lecteur pour justifier que l’on ait
écrit un livre…
Est-ce en voyant comment l’opinion publique
réagit devant les massacres commis à
Londres par des terroristes qui se réclament
de leur foi, que l’IRA renonce à la lutte
armée, interrompant ainsi une guerre qui, en
plus de trente ans, a fait des milliers de morts ?
Sursaut de conscience ou désir de n’être
pas assimilés aux djihadistes ?
Comme le disait jadis Alain dans Mars ou la guerre
jugée, “toutes les guerres sont
de religion”. Le premier devoir des croyants
serait de déposer leurs armes, réelles
ou virtuelles, puis de transformer leurs casernes,
leurs cavernes ou leurs sanctuaires en lieux de méditation
et de réflexion. Et il en est qui le font.
Mais si Dieu existe, sous quelque apparence que ce
soit, il ferait bien, Lui, par un grand coup de gueule,
de refuser une fois pour toutes d’être
alternativement leur alibi et leur faire-valoir !
Dans un article fiévreux, généreux,
sinueux, en première page du Monde
daté d’aujourd’hui, Olivier Py
revient, à propos du Festival d’Avignon,
sur le “débat entre les images et les
mots”. La parole n’appartiendrait-elle
qu’à ceux-ci et pas à celles-là
? Cette querelle ressemble, elle aussi, à une
guerre de religion dans laquelle les choses, lasses
d’être soumises à l’autorité
des mots, chercheraient alliance avec les images,
lesquelles, à leur tour, s’incarneraient
dans des représentations comme celles qu’on
a vues en Avignon. L’idée, si j’ai
bien compris Olivier, serait que, sous peine de disparaître,
le théâtre soit le lieu et le genre où,
en se dérobant aux excès des uns et
à l’extrémisme des autres, se
ferait une réconciliation féconde. Mais
je crains que ce ne soit là donner un déguisement
philosophique à la reproduction littérale
d’une violence qui sourd d’un monde où
s’affrontent comme jamais l’obsession
de l’avoir et la rage d’obtenir, où
la force des clameurs couvre le sens des questions.
Quelle réflexion prétend-on manifester
quand on se limite à ce copier-coller de l’actualité
?
Combien de fois ai-je vu des plasticiens proclamés
dissimuler sous des violences (de couleurs, de formes,
de matières) qu’ils donnaient pour innovantes
et même prophétiques, leur réelle
incapacité à dessiner ! Au point de
me demander pourquoi il ne s’était pas
encore trouvé un radiologue, même incapable
de prendre une bonne photo avec l’un de ces
appareils numériques que tout le monde possède
aujourd’hui, qui aurait eu l’idée
d’exposer ses clichés médicaux
dans une galerie de la rive gauche… Avec une
éventuelle concession aux mots qui serait de
mettre sous chacun des clichés une légende
du style : “Parthénon pulmonaire”,
ou “Mélancolie de la prostate”.
Hein ? Tant qu’on y est…
Le Paradou, 31 juillet 2005 – En chemin
vers l’Espagne, M. a fait escale au mas. Quand
je la vois ainsi passer, presque fugitive, alors me
revient le dernier vers d’un poème que
je lui fis jadis : Sois cible, je suis une volée
de flèches. Mais force m’est de
voir que ces flèches-là sont comme celle
de Zénon. Elles continuent interminablement
leur course et n’atteindront jamais leur cible.
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